S’ils étaient mieux gérés, une famille moyenne de quatre personnes économiserait 2000$ par an en frais de santé
Une version de ce commentaire est parue dans Profession Santé et L’aut’ journal
Dans bon nombre de pays, les familles endeuillées reçoivent des fleurs et des cartes de condoléances. Aux États-Unis, elles reçoivent un déluge de factures d’hôpital et de formulaires d’assurance à remplir.
Toute cette paperasse n’est pas seulement offensante; elle coûte une fortune à la société américaine. Prenons l’exemple des hôpitaux. Selon les données que nous avons publiées récemment dans la revue Health Affairs, les hôpitaux américains ont dépensé en 2011 215 milliards de dollars en matière de facturation et d’administration, soit pas moins de 1,43% du PIB.
Exprimé autrement, cela signifie que les hôpitaux consacrent un dollar par tranche de quatre dollars à la paperasserie plutôt qu’à la prestation des soins aux patients.
D’autres pays gèrent des hôpitaux modernes et de première classe pour beaucoup moins cher. Les coûts d’administration accaparent annuellement 667$ par habitant aux États-Unis, alors qu’ils ne représentent que 158$ au Canada, 164$ en Écosse, 225$ en Angleterre et 325$ aux Pays-Bas.
Si la gestion des hôpitaux aux États-Unis était aussi efficace qu’au Canada, une famille moyenne de quatre personnes épargnerait chaque année 2000$ en soins de santé.
Par ailleurs, leurs coûts administratifs ont grimpé en flèche depuis 2000, même lorsqu’on tient compte de l’inflation. Une situation qui contraste avec le Canada, où la portion du budget des hôpitaux consacrée à l’administration a diminué depuis 1999.
Il y a une génération, il suffisait d’une ou deux personnes pour gérer un hôpital aux États‑Unis. Aujourd’hui, le directeur général est assisté par des « adjoints » responsables des opérations, des finances, de la conformité, de l’information, de la gestion de la qualité, pour ne citer que ces volets.
Chacun de ces adjoints commande ses propres troupes : des centaines de préposés à la facturation et à l’inscription, des gestionnaires de l’aiguillage, des spécialistes du surcodage (chargés de traduire les diagnostics médicaux en codes de facturation aussi lucratifs que possible), sans compter des services informatiques impressionnants dont le premier commandement est le suivant : « Ne pas se tromper dans le calcul des factures ».
Pourquoi les hôpitaux américains sont-ils si inefficaces? Entre autres, notre système d’assurance à payeurs multiples oblige tous les établissements hospitaliers à négocier des tarifs pour des dizaines de régimes d’assurance qui comportent chacun leurs propres règles et exigences en matière de couverture, de facturation et de documentation. De plus, chaque hôpital doit percevoir des franchises, des quotes-parts et des frais de coassurance auprès de dizaines de milliers de patients.
Tout un contraste avec le Canada et l’Écosse, où un système à payeur unique contrecarre ce genre de bureaucratie et la tendance à facturer chaque petit pansement, d’où les faibles coûts d’administration dans ces pays. Leurs hôpitaux reçoivent simplement un budget global, de la même façon que les casernes de pompiers. Et tout comme les services d’incendie, ils n’ont pas à percevoir la moindre somme auprès des victimes du destin.
Toutefois, les complexités de la facturation ne sont pas le seul facteur responsable des lourdeurs administratives dans les hôpitaux américains. Pour pouvoir survivre dans un système régi par le marché, ces établissements ont dû se doter également de spécialistes en affaires.
Un hôpital qui n’affiche aucun bénéfice d’exploitation est incapable de réunir les sommes requises pour se procurer des équipements et des services de pointe ou moderniser leurs installations. Cela signifie que les administrateurs doivent dédier des ressources à la mise en marché des services lucratifs (par ex. la médecine sportive); aux services de facturation chargés de soutirer jusqu’au dernier sou auprès des assureurs et des patients; à des stratégies visant à recruter des patients avantageux (c’est-à-dire bien assurés) et à écarter les autres (c’est-à-dire sans assurance).
Le bilan lamentable des hôpitaux à but lucratif illustre bien les problèmes associés à la gestion d’un établissement de ce genre à la manière d’une entreprise. Les taux de décès y sont plus élevés et ils comptent moins de personnel médical (notamment d’infirmières) que les structures à but non lucratif. La prestation des soins y coûte plus cher et les services administratifs accaparent davantage de ressources, un reflet des coûts élevés qu’entraîne la mise en œuvre de stratégies financières astucieuses.
Dans les hôpitaux canadiens et écossais, les administrateurs ne sont pas obligés de s’adonner à des jeux financiers pour garantir la survie de leur établissement. Les nouvelles constructions et l’équipement neuf sont financés par des subventions gouvernementales plutôt que par les bénéfices d’exploitation. Même en France et en Allemagne où les hôpitaux doivent composer avec des payeurs multiples, les coûts administratifs restent modestes puisque la plupart des investissements sont directement financés par l’État.
L’Angleterre et les Pays-Bas constituent malheureusement des contre-exemples. Les réformes favorables au marché instaurées pendant l’ère Thatcher ont fait grimper en flèche les coûts d’administration dans les hôpitaux anglais. Et seuls les hôpitaux américains affichent des coûts plus élevés que ceux des Pays-Bas, où l’adoption de réformes radicales axées sur le marché oblige maintenant les hôpitaux à afficher un bénéfice.
D’après les manuels d’économie, le fait de soumettre la médecine aux forces du marché est censé favoriser l’efficacité et éradiquer le gaspillage. Or la réalité résiste farouchement à cette thèse. Les politiques axées sur le marché encouragent plutôt les hôpitaux à transférer des ressources vers des stratégies d’affaires qui font gonfler le bénéfice net, mais n’améliorent en rien la prestation des soins.
La Dre Steffie Woolhandler est conseillère auprès du site EvidenceNetwork.ca et cofondatrice de l’association Physicians for a National Health Program. Elle est professeure à la City University de New York et chargée d’enseignement à l’école de médecine de l’Université Harvard. Elle est également interniste au Montefiore Medical Center à New York.
Le Dr David Himmelstein est conseiller auprès du site EvidenceNetwork.ca et cofondateur de l’association Physicians for a National Health Program. Il est professeur à la City University de New York et chargé d’enseignement à l’école de médecine de l’Université Harvard. Il est également interniste au Montefiore Medical Center à New York.
decembre 2014
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