Le nombre de spécialistes de la santé par Canadien et Canadienne a presque doublé depuis 1981
Une version de ce commentaire est parue dans La Presse
Partout au pays, les provinces tentent de réduire leurs dépenses de santé et se préoccupent beaucoup des coûts croissants associés aux médecins. Ont-elles raison? Oui — et non.
L’Institut canadien d’information sur la santé a publié la semaine dernière des données indiquant que les paiements cliniques bruts versés aux médecins au Canada ont totalisé 25 milliards de dollars en 2015, soit 3,7 pour cent de plus que les 24,1 milliards de dollars versés l’année précédente. Ce taux de croissance, qui marque une baisse par rapport au taux de près de 6 pour cent enregistré l’année précédente, fait penser qu’une certaine limitation des dépenses est exercée.
C’est une bonne nouvelle du point de vue du contrôle des coûts.
Il semble aussi que nous ayons un nombre record de médecins. Les Canadiens et les Canadiennes en attente de soins y verront là, sûrement, une autre bonne nouvelle
Pour la neuvième année consécutive, le nombre de médecins canadiens par habitant a augmenté, passant de 79 905 en 2014 à 82 000 en 2015. En effet, le Canada a enregistré des hausses annuelles du nombre de ses médecins de plus de 2 pour cent depuis 2007, en particulier de plus de 4 pour cent en 2009 et en 2011, et d’environ 2,6 pour cent en 2015.
Nous sommes passés d’une époque où l’on pensait qu’il y avait une pénurie de médecins à une époque de relative abondance. Autrement dit, le nombre total de médecins par 100 000 habitants est passé de 192 en 2007 à 228 en 2015.
Le Québec ne fait pas exception à cette tendance, car son nombre de médecins par 100 000 habitants s’est accru de 217 en 2007 à 242 en 2015 — soit une hausse de 11,5 pour cent.
Simultanément, le paiement brut moyen par médecin en 2015 est resté presque inchangé à 339 000 $ pour l’ensemble du Canada. Toutefois, le paiement brut moyen par médecin au Québec, qui se chiffre à 310 000 $ en 2015, a augmenté légèrement de 1,6 pour cent par rapport à l’année précédente, mais demeure inférieur à la moyenne nationale.
Le Québec compte un plus grand nombre de médecins par habitant que la moyenne canadienne et leur consacre moins d’argent.
Mais, à bien y regarder, une tendance inquiétante se dessine.
Un rapport récent de l’Institut C.D. Howe indique que bien que les dépenses de santé réelles par habitant des gouvernements provinciaux aient diminué, les coûts totaux des médecins ont continué d’augmenter.
Cependant, le rapport de l’Institut C. D. Howe souligne que les dépenses sont aussi touchées par la composition des médecins, en particulier des spécialistes. L’ajout d’un ou d’une spécialiste par 1 000 habitants était associé à une augmentation de 720 $ en dépenses provinciales de santé réelles par habitant — un montant non négligeable.
À combien se chiffre réellement la hausse du nombre de spécialistes? Le nombre de spécialistes par habitant a presque doublé au Canada depuis 1981.
Le nombre moyen de médecins spécialistes par 1 000 habitants dans toutes les provinces du Canada atteignait 0,6 en 1981 comparativement à 1,1 en 2013, soit une hausse de près d’un demi-médecin spécialiste par 1 000 habitants. Ce quasi-doublement est ainsi associé à une hausse de 295 $ des dépenses réelles provinciales par habitant (en dollars de 1997), lesquelles sont passées de 1 415 $ par personne en 1981 à une prévision de 2 447 $ par personne en 2015. Là encore, le coût n’est pas négligeable.
On s’attend à ce que le nombre de médecins spécialistes continue d’augmenter dans l’avenir, étant donné la hausse des inscriptions dans les écoles de médecine.
Est-ce une si mauvaise chose? Un plus grand nombre de spécialistes devrait être synonyme de meilleurs soins de santé, non, même si cela nous coûte plus cher?
Le problème est que nous ne le savons pas vraiment. Nous ne disposons pas de mesures nous permettant d’évaluer si l’augmentation de médecins spécialistes est toujours le meilleur investissement des sommes consacrées à la santé.
Le débat de société met l’accent sur les dépenses et la lutte féroce à laquelle se livrent les associations médicales et les ministres de la Santé, mais ce qui manque, c’est une discussion de l’efficacité des services et comment la mesurer.
Par exemple, une campagne nationale dirigée par une clinicienne, en partenariat avec l’Association médicale canadienne, intitulée Choisir avec soin, laisse entendre que certains tests et services de diagnostic peuvent être inutiles, et parfois même dangereux.
Si augmenter les dépenses liées aux médecins nous en donne plus pour notre argent, comme on peut le mesurer au moyen des résultats sur la santé, alors c’est une bonne chose. Par contre, si nous dépensons plus pour des tests et des procédures de diagnostic qui n’améliorent pas la santé, alors ce n’est pas une bonne chose.
Sans mesure adéquate des résultats sur la santé, il n’est pas possible de savoir si les mesures de contrôle des coûts ont une incidence sur les soins. Il incombe aux gouvernements provinciaux et aux médecins de travailler en collaboration pour évaluer l’efficacité des services de soins de santé en se fondant sur des données probantes. C’est seulement ainsi que nous saurons si notre argent est bien investi.
Livio Di Matteo est professeur d’économie à l’Université Lakehead et expert-conseil à Evidence Network. Il est coauteur (avec Colin Busby) du rapport publié récemment par l’Institute C.D. Howe, Hold the Applause.
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